Mycorémédiation

Mycorémédiation

Champignons, bactéries et plantes transforment la matière qui les entoure, dont ils se nourrissent ou dont ils se protègent. La bioremédiation est la décontamination planifiée d’un milieu naturel par l’action de ces organismes. Les champignons secrètent autour d’eux des enzymes, des acides qui modulent l’environnement à leur convenance. La mycoremédiation est le recours à ces habiletés pour disposer de substances nocives.

Produits pétroliers

Seules organismes capables de décomposer la lignine des arbres, cette composante du bois qui leur confère leur rigidité, certaines espèces de champignons parviennent à dégrader des hydrocarbures. Confronté que nous sommes aux dégâts de déversements pétroliers, cette découverte ouvre des pistes d’atténuation et ce, de diverses façons.

Inoculation d’un substrat contaminé

L’inoculation d’un sol contaminé avec des champignons est la méthode la plus simple. Depuis plusieurs années, Paul Stamets professe la mycorémédiation dans des livres comme Mycelium running ou des conférences comme The Future is Fungi. Il a fait notamment la démonstration que le pleurote huître (Pleurotus ostreatus) peut nettoyer des sols saturés de produits pétroliers. Le pleurote huître est en effet l’espèce-fétiche en décontamination : comestible apprécié, il brise les molécules d’hydrocarbures en dioxyde de carbone et en oxygène, gaz inoffensifs.

De nombreuses autres espèces qui peuvent s’attaquer à la lignine (d’où leur nom de «carie blanche») réalisent la même prouesse et cette prouesse s’étend à des contaminants particulièrement menaçants : hydrocarbures aromatiques polycycliques HAP, biphényles polychlorés PBC, dioxynes (Adenipekun & Lawal, 2012).

Les performances varient avec les espèces, le milieu et les contaminants eux-mêmes. En général, le champignon doit reposer sur une matière ligno-cellulosique, la source naturelle d’énergie pour ces espèces, avant de s’attaquer à des substances apparentées. D’autre part, la plupart des champignons respirent comme nous, ce qui limite la portée de leur action aux premiers centimètres de profondeur, suffisamment oxygénés. Par ailleurs, les HAP résistent d’autant plus longtemps que la chaîne cyclique est longue, ce qui, au mieux, prolonge le traitement. Enfin, les «métaux lourds» restent intacts même s’ils sont prélevés par des champignons : ils sont simplement déplacés du milieu contaminé au champignon. D’où la recommandation usuelle d’éviter de consommer des spécimens cueillis sur un site comme d’anciennes mines qui recèleraient plomb, arsenic, nickel, mercure, …

Biostimulation

Alternativement, la biostimulation repose sur l’action naturelle des microorganismes indigènes. Elle est l’une des méthodes retenues à Lac-Mégantic qui a été le théâtre d’une catastrophe dans la nuit du 6 juillet 2013.

Un convoi ferroviaire a déraillé causant la mort de 47 personnes, la destruction du centre-ville et le déversement de 6 000 t de pétrole. La décontamination était une priorité, avant la reconstruction.

Dans le cadre du projet, l’activité des bactéries, actinomycètes et champignons déjà présents dans le sol est stimulée en favorisant les conditions de leur croissance (oxygène, nutriments, humidité, acidité, …). Comme le souligne la chargée de projet, Marie-Claude Drouin, les microorganismes participent collectivement à l’effort. Ils n’ont pas été spécifiquement identifiés localement. Ils seront d’ailleurs différents d’un site à l’autre selon la matière organique présente, le pH du sol sur place.

Autres solutions envisagées, la séparation thermique et le traitement physico-chimique (ex-situ) n’impliquent pas de champignons mais requièrent beaucoup d’énergie. En pratique, ces solutions alternatives se sont avérées insatisfaisantes et ont été abandonnées en 2014, pour ne poursuivre que l’approche biologique dont les résultats seront divulgués en 2016. La biostimulation a l’avantage d’être moins coûteuse, sans émission significative de gaz. Par contre, elle opère lentement et requière des sites d’épandage. La terre récupérée, bien que suffisamment saine, ne sera peut-être pas complètement exempte de HAP à longue chaîne et de «métaux lourds».

Phytorémédiation assistée

Des plantes plutôt que des champignons sont utilisées depuis longtemps pour décontaminer des sols. Les résultats obtenus par la phytoremédiation peuvent être améliorés quand la symbiose qui lie nombre d’espèces de champignons à ces plantes, est mise à contribution. En périphérie de Montréal, Dimitri Dagher, de l’Institut de recherche en biologie végétale, vérifie l’efficacité de la décontamination par un cultivar du saule, Salix purpurea, quand il est secondé par de telles espèces. Les champignons sont ici relégués à un rôle de soutien en favorisant la croissance des saules auxquelles incombe la décontamination. Compte tenu des biomasses respectives, il faudrait une quantité considérable de pleurote pour égaler la performance d’un seul saule.

Métaux lourds

L’accumulation de «métaux lourds» dans les champignons ne présente pas que des inconvénients. Elle permet de les prélever et, éventuellement, d’en disposer ailleurs, dans un endroit plus convenable. Plusieurs espèces de champignons accumulent les métaux lourds et d’autres substances nocives. Une espèce en particulier, Gomphibius glutinosus, semble avoir profité des retombées radioactives autour de Chernobyl : le champignon devient radioactif, mais il contribue à nettoyer le sol.

Radioactivité

Dans la même veine, en 1991 à Chernobyl, la découverte de moisissures noires recouvrant des parois de la centrale a suscité tout un émoi : les mélanines (pigment photoprotecteur dont il sera question dans un prochain blog) contenues dans certains champignons jouerait le rôle similaire à la chlorophylle des plantes en transformant les rayons gamma en énergie chimique, ce qui n’en fait pas pour autant de bons comestibles, mais permet d’envisager une décontamination de site et un prélèvement.

Cyanobactéries

Dans le processus de recyclage de la matière organique, les champignons prennent souvent le relais des bactéries après que ces derniers aient rendus des nutriments disponibles pour eux. D’autre part, les champignons sécrètent autour d’eux des métabolites antibactériens. C’est bien connu : ils sont la source originelle des antibiotiques couramment prescrits. La mycofiltration consiste à retirer d’un cours d’eau des substances indésirables en utilisant ces habiletés. La technique la plus accessible consiste à introduire de la paille, des sciures de bois et du mycélium dans des sacs de jute. Le strophaire rouge-vin (Stropharia rugoso-annulata) semble l’espèce macroscopique la plus efficace sur ce plan. Déposés comme des boudins sur un cours d’eau au débit modéré, les sacs forment un barrage qui filtre l’eau. Le mycélium se développent jusqu’à la fructification et capte au passage de nombreuses substances indésirables, dont les bactéries E. coli, le phosphate et les nitrites, qui auraient favorisé la multiplication des cyanobactéries (algues bleues vertes) en aval.

En somme

La démonstration que les champignons peuvent assainir des milieux naturels n’est plus à faire. À ce jour, on parle de projets-pilote et d’expérimentation en laboratoire : à notre connaissance, aucune décontamination d’envergure n’a été réalisée par mycorémédiation seulement. Dans plusieurs cas, la mobilisation de nombreux organismes complémentaires, dont les champignons eux-mêmes, présente les meilleures perspectives. Les espèces et les souches se comptent par millions, encore anonymes pour la plupart, avec des propriétés uniques méconnues. L’utilisation des champignons pour décontaminer des milieux naturels commence à peine : elle nous réservera sans doute dans l’avenir des résultats à la mesure des défis écologiques.

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